Goa et Kepeke

(I Goa sy i Kepeke)

De la collection Siméon Rajaona,
  Texte: Ravalitera, Images: Antso Andrianary

 

(4) Il était une fois, dans le pays Antandroy, deux hommes, handicapés tous les deux. L’un était aveugle, mais avait toutes ses forces. Il se nommait Goa. L’autre était invalide, mais voyait très bien et était extrêmement intelligent. Il se nommait Kepeke. 

(6) Un jour, dit l’histoire, ils se rencontrèrent et s’entendirent fort bien. C’est Kepeke, qui, le premier engagea la conversation, car il vit et comprit très vite qui et comment était Goa.

(8) « Je me nomme Kepeke », dit-il. « Je ne peux marcher et suis obligé de me traîner. Je vois que toi, tu es aveugle, pourquoi ne pourrions-nous être amis tous les deux ? Nous allons travailler ensemble, moi, je te montrerai le chemin, et toi, tu me porteras sur ton dos. »
« D’accord », lui répondit l’aveugle.
Goa prit Kepeke sur son dos et ils parcoururent ainsi monts et vallées.

(10)  « J’ai faim », déclara Kepeke. « Regarde là-bas, il y a un champ de maïs. Je vais t’y emmener et nous allons prendre beaucoup d’épis de maïs que nous allons griller. »
Très vite, ils en eurent beaucoup, Goa marchant dans le champ et Kepeke cueillant les épis mûrs. Leur cueillette accomplie,  ils s’enfuirent très vite, mais quelqu’un les vit et les dénonça au propriétaire.

(12) Celui-ci appela le fokonolona [les gens du village] et on les amena devant le vieux chef du village pour être jugés comme voleurs. « Si on en croit la dénonciation, ces deux hommes sont accusés de vol », déclara celui-ci. Et se tournant vers eux, il leur demanda : « que pouvez-vous nous dire pour votre défense, pour ne pas être accusés à tort ? »

(14) « Et pouvez-vous jurer que vous n’êtes pas des voleurs ? »
« Nous le jurons.» dit Goa « Comment aurais-je pu voir  ce champ. »
« Que je sois maudit si j’ai touché un seul de ces épis, et damné si mes pieds ont foulé ce champ », ajouta Kepeke.
La foule s’exclama et déclara que les deux hommes avaient raison. Et c’est ainsi qu’ils furent libérés.

(16) Une fois libérés, ils se mirent à errer à droite et à gauche. C’est là qu’ils rencontrèrent une vache sauvage. Ils s’approchèrent d’elle, Kepeke porté dans le dos de Goa qui marchait.
Kepeke caressa la vache sur le ventre, près de sa cuisse, et celle-ci s’allongea par terre en signe de bonheur et de soumission. Kepeke l’attacha avec une bonne corde de fibres et l’emmena avec eux.
Ils se congratulèrent de bonheur, car ils étaient devenus riches.

(18) Un peu plus tard, Kepeke vit que la vache attendait un petit, et il décida de tromper Goa.
« Laisse cette vache pour moi », lui dit-il,  « quand on en verra une autre, elle sera pour toi. »
« C’est hors de question », lui répondit Goa, « la vache m’appartient, car si je ne t’avais porté sur mon dos, même si tu l’avais vue, tu n’aurais pu l’avoir. »
« La vache m’appartient, car je fus le premier à l’avoir aperçue » répliqua Kepeke.
De nouveau, ils durent appeler un juge.

(20) La foule et le juge se rassemblèrent.
« Entendez-vous », dit le juge. Cette vache attend un petit. C’est votre bien commun. Attendons qu’elle vêle. Peut-être aura-t-elle des jumeaux, comme cela vous en aurez un chacun. Ou alors, l’un d’entre vous aura le premier veau né et l’autre le suivant. »
« Le premier né des veaux sera pour moi », dit Kepeke avec empressement.
« C’est hors de question », répliqua Goa, « le deuxième sera le tien. »

(22) Le juge essaya de calmer leur bagarre, mais aucun des deux ne voulut céder.
Goa tenta de jeter Kepeke par terre, mais celui-ci s’accrocha de toutes ses forces au dos de son porteur.
Quelles ne furent les exclamations de la foule en les voyant!

(24) « Dans ce cas, puisque vous êtes incapables de vous entendre, c’est ce javelot aux deux bouts pointus qui déterminera qui sera le vainqueur. Vous  prendrez le bout le plus proche de vous et vous essayerez de percer votre adversaire. Celui qui en sortira vivant sera le vainqueur.
« Eh, dit Goa, je suis aveugle, il va me tuer »
« Moi, je suis invalide dit Kepeke, je ne pourrais rien faire contre sa force, j’ai perdu d’avance. »
« Puisque vous ne pouvez-vous entendre, la vache deviendra donc la propriété du village » décida le juge.
La foule s’exclama de joie, et les deux lascars se mirent à avoir peur.

(26) « La vache nous appartient » dirent-ils ensemble tous les deux.
« Dans ce cas, entendez-vous », répondit le juge.
« Mais pourquoi nous disputons-nous, » reprit Goa. » Je suis aveugle et j’ai besoin de toi pour guider ma route »
« C’est vrai », lui répondit Kepeke. « Tandis que moi, je suis invalide et j’ai besoin que tu me portes sur le dos. »
Les deux hommes se serrèrent la main et jurèrent de s’aimer et de s’entraider, car ils ne pouvaient s’en sortir seuls.
La foule poussa des cris de joie.

 

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(885) mr